Faire pousser la créativité
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J’adore dessiner. Je dessine partout, tout le temps. Quand il y a des enfants, c’est sûr que je sors mon bouquet de crayons et que je remplis des feuilles blanches de couleurs éclatantes. En général, tous les enfants aiment dessiner. Presque tous les parents se sont déjà assis avec leur enfant pour gribouiller doucement un arbre qui ressemble à un nuage duveteux, un soleil avec des lignes tout autour ou des bonhommes aux jambes et aux bras d’allumette.
Les enfants, eux, ne s’en tiennent pas à un cadre bien précis. Ils gribouillent, dessinent ce qu’ils voient et ce qu’ils imaginent. Avouez que certains dessins sont carrément incompréhensibles ou totalement illogiques, mais pour les petits, ils ont une signification bien précise et ils se font une joie de nous l’expliquer. Je me souviens, quand j’étais petite, je dessinais souvent des petites filles qui volaient. Elles étaient là, sans aile, au beau milieu de ma feuille, les pieds dans le vide. Même si c’était débordant de créativité et qu’il y avait là un beau potentiel, les adultes m’ont dit que ça ne se pouvait pas.
Comme la roue tourne, c’est à nous maintenant que les petits offrent fièrement leurs créations. Et comme ceux avant nous, nous avons tous déjà eu le même regard perplexe devant un tas de lignes et de gribouillis. Comme on est incapable de s’empêcher d’avoir une grimace interne devant le chef-d’œuvre incompréhensible, on voit en nous grandir une passion soudaine pour venir à la rescousse de ce petit vraiment trop nul en dessin. Après tout, ce n’est pas comme ça qu’il deviendra un grand artiste! L’enfant au regard admirateur n’attend qu’un peu de valorisation, mais il ne sait pas encore que notre Picasso interne vient de partir en mission. Alors, avec toute notre bonne volonté, on leur montre notre « savoir-faire ». Avec notre expertise de bonhomme allumette, on leur montre qu’une fleur, c’est une boule entourée de cinq pétales identiques jonchées sur une tige droite ornée d’une feuille au centre. Le ciel est bleu pâle, le gazon est vert mordant. Les maisons ont un toit pointu et des fenêtres à carreaux. Quand il réussit enfin à faire le dessin qu’on avait en tête, on est beaucoup trop fier! Ce qu’on ne sait pas, c’est que sans le vouloir, on vient de mettre un frein à leur évolution créative.
Picasso a dit : « Dans chaque enfant, il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant. ». Je ne sais pas pour vous, mais je n’ai jamais vu d’arbre en forme de nuage au vert parfaitement uniforme. Les plus beaux ciels que j’ai vus étaient remplis de rose, de lilas ou d’orangé. Et quand je me regarde dans le miroir, je suis loin d’avoir une tête ronde et des bras fins comme une barre. Tout ce qui nous entoure est rempli de diversité, de créativité. Alors pourquoi apprendre à nos enfants à dessiner comme ça? On ne fait que leurs inculquer une foule de symboles qui ne ressemblent en rien à la réalité. C’est ce qui fait qu’à 20 ans, 30 ans ou 60 ans, on dessine tous pareil, ou presque.
Le presque, c’est l’exception. Ce sont ceux qui à l’âge de dix, onze ou douze ans ont continué de créer, alors que tous les autres se sont tannés de dessiner les mêmes paysages de fleurs et de maison pointue. Ils ont su voir le monde tel qu’il est avec toutes ses formes étranges et irrégulières et ses innombrables couleurs toutes aussi belles les unes que les autres. Leur évolution artistique n’aura jamais stagnée et pour eux, dessiner un portrait identique deviendra aussi simple que de dessiner une fleur ou un coucher de soleil. Parce qu’en fait, peu importe si la ligne est droite ou courbée, un dessin, ça reste un tas de traits, de lignes, d’ombres et de couleurs! Il faut seulement savoir où et quand mettre le bon trait et ça, on le sait en apprenant à bien voir. « Certains peintres transforment le soleil en un point jaune ; d’autres transforment un point jaune en soleil. »(Picasso)
Alors, au lieu d’apprendre à nos enfants à dessiner des symboles, laissons-les s’épanouir et devenir de grands artistes. Et pour ceux qui ont été corrompus, il n’est pas trop tard. Ouvrez grand les yeux et dessinez!