LA NATURE À L’OEUVRE

Ce texte est une œuvre, qui, comme tout travail créatif, nécessite une gestation. Pour moi, cette gestation est la même qu’un arbre qui, par une nécessité organique, produit un fruit. La création demande du temps, pour atteindre maturité, qui est une sorte de finalité. Néanmoins, cette finalité n’est pas synonyme de fin, elle appartient à un cycle ; celui de la vie, qui est une forme ultime de création. Lorsque le temps et l’espace se rencontrent, il y a tant à contempler et à constater. C’est cette contemplation, amalgamée à l’interaction constante de l’être humain avec son environnement, qui m’a amené à la réflexion qui suit. Ma rédaction ayant débuté au milieu de l’hiver, dans la maison de campagne, où je venais d’emménager et où tout restait à découvrir sous l’immense manteau blanc qui recouvrait encore l’inconnu. Les jours ont coulé et mon regard les a suivis, immobile comme un arbre, j’ai pu observer en ce lieu la mouvance effrénée d’une beauté infinie.

Découvrir un territoire, jusqu’ici enseveli sous l’épais manteau de l’hiver, se présente à moi comme un véritable présent de la vie. Quand la saison blanche s’étira, j’éprouvai un réel conflit avec elle. Je me languissais de rencontrer chaque parcelle de cette propriété qui m’était confiée. Ce territoire-histoire ; paysage allégorique, m’apparaissait tranquillement sous les ruées du réchauffement saisonnier. Je le souhaitais hâtif comme mon envie de l’aimer. Sous mes yeux, à travers les jours, le paysage crevait d’envie de se dévoiler, pour une nouvelle saison de chaleur et d’abondance. L’hiver achevé, ses attributs fondus dégoulinent et ruissellent sous la glace formée de la nuit dernière. Les jours filent et le vert se faufile, la promesse d’une nouvelle saison d’abondance, portée par l’odeur de la boue et de la merde qui dégèlent. Je peux ressentir chaque année encore, des papillons dans l’estomac à la simple pensée de l’herbe fraîche entre mes orteils blêmes et les pissenlits qui y resteront coincés. Après des mois froids à rester cloîtrée pour conserver la chaleur de notre demeure, les fenêtres s’ouvrent grandes à nouveau et l’accès à l’air frais dans la maison me comble de bonheur. Un dehors moins hostile nous accueille encore dans une saison que nous avons déjà vécue, mais qui m’apparaît toujours comme mon premier printemps. L’été s’est produit ; ses milliers de verts, ses floraisons successives, le chant des oiseaux et des cigales, les vols des papillons, les nuits noires étoilées, la magie des lucioles, le dehors, les journées trop humides, l’odeur et la couleur dorée de la peau cuite, les reflets clairs dans les cheveux usés par le soleil, la pluie chaude, les éclairs de chaleur, les orages, les arcs-en-ciel, les mouches dans la maison, les pieds crottés de terre et de sueurs, les effluves de la ferme bovine d’à-côté… Tant de bonheurs singuliers que je me plais à revivre dans cette énumération prolixe. Vous l’aurez deviné, ma sensibilité d’artiste m’amène à m’émouvoir sincèrement devant la moindre manifestation de beauté et je la savoure comme chaque fleur que j’ai vue naître en couleur immense et mourir en parfum silencieux. Le printemps a fondu sur l’été, qui à son tour, migre aujourd’hui sur un automne, qui déjà pointe son nez, en des nuits plus fraîches, un feuillage aux couleurs chaudes et un sol couvert de pommes perdues. C’est à l’occasion d’un futur nouveau paysage que je me décidai à poursuivre ce récit des alentours, qui me charge d’un renouveau toujours en mouvement. L’hiver approchant, les indices d’automne se multiplient ; la chevelure de la flore à bout de souffle, comme brûlée de passion ardente. Les citrouilles, le maïs, les tournesols. Se résigner à voir mourir un jardin dont on a complètement perdu le contrôle, après tant de soins portés à son égard. L’été s’efface d’un revers de main ocre. Le temps se refroidit et me soulage d’une météo parfois écrasante. On se prépare pour l’Hermitage en quelque sorte, du moins, c’est mon cas… Telle une bête qui hiberne, préparant ses provisions pour la froide retraite, le printemps, l’été et l’automne me permettent d’amasser les matériaux de créations trouvés çà et là pour une future production artistique. Une courte époque de couleurs encore chaudes laissera place à un manteau immaculé ; le paysage hivernal. Un blanc total, éblouissant, réfléchissant le ciel voilé ; des émanations de nous. Toutes les formes de neiges s’accumulent comme les agrégats superposés dans une tranche épaisse de terre. Tous ces types de neige et de glace que les Inuits nomment distinctement, apparemment pas loin de quatre-vingt-treize termes pour les désigner. L’hiver, une saison merveilleuse pour moi, qui m’affaire à l’atelier ou au bureau, à la réalisation de mon œuvre essentielle. Cette période de l’année, qui me bénit de son calme et de sa pureté. Une saison magique qui me fait cadeau de ses nuits aux ciels opaques, d’un gris orangé et lilas à la fois, constitue un moment privilégié pour moi qui travaille, reclus du monde. L’hiver est enchanteur pour mon cœur d’enfant, qui aime toujours se rouler dans la neige folle, faire de la luge, construire des igloos et rentrer les pieds gelés, juste à temps pour passe-partout…

Si l’homme règne sur l’espace, la courte saison qu’est sa vie n’est rien face à l’arbre qui lui, siège sur le temps. La plantation d’un arbre est un cadeau fait aux futures générations. En effet, cet endroit ou je vis, que j’ai précédemment décrie, dans ses manifestations dynamiques, compte des témoins centenaires qui pourraient, s’ils avaient la faculté de la parole, nous raconter bien des histoires! Un arbre est une source d’histoire portée vers l’avenir, le souci de conserver les forêts, en régénérant le territoire est un enjeu majeur en réponse à l’abus dont sont victimes nos ressources naturelles. Générer une consommation responsable semble si difficile avec les politiques capitalistes qui règnent en monarque égoïste et cupide sur l’ensemble de la planète. Prendre conscience de cela est déjà un pas vers la solution. Chaque fois que je découpe, un légume ou un fruit, et, que j’en retire les graines de sa chair, les semences en abondance dans chacun d’eux témoignent, une fois de plus, de l’immense générosité de la nature. Imaginez si nous mettions en terre chaque graine, de chaque aliment que nous consommons… L’abondance connaîtrait un essor planétaire et il n’y aurait plus de famine! Cette constatation m’ébranle chaque fois, lorsque je vois, dans ma région, des gens qui ont faim, qui se présentent à des comptoirs communautaires de distribution alimentaire, je me dis merde! À quoi sert l’éducation, si on n’inculque pas la ressource première de notre planète ; la terre! Soyons honnêtes, il n’y a rien de plus facile que de cultiver la terre! Le partage et les incitatives sont là, ne reste plus qu’à être perméable au changement et à l’évolution de la conscience collective. La terre est généreuse et génératrice. Elle engendre nos paysages, nos habitations et notre alimentation. La terre fleurie ici violemment, sachant son éphémère destin cyclique. La terre n’est pas le monde. Le monde s’empare de la terre, la laissant parfois complètement nue, violée par la production abusive. La terre est notre berceau, elle est également notre tombeau. La terre se tient toujours ferme sous nos pieds ravageurs, à la merci de nos besoins et caprices. La terre nous sert de sol, de fondation, de jardin, de bassin, de route, d’autoroute, de piste d’atterrissage, de terrain de golf, de mine, de puits, ect… La terre sert également de cachette. Il est possible d’ensevelir subtilement des objets dont on dispose. La terre est très pratique pour la mise aux oubliettes. Notre terre accueille tant la vie que la mort. En somme, l’humanité est le miroir de la nature. La nature a horreur du vide. Elle s’approprie chaque espace à sa portée. Elle est constamment en évolution, connaît des instants de dormance et ne se laisse pas faire! Sauvage indisciplinée, elle évincera tout l’appareil humain en quelques mois à peine. Sorte de vengeance pour l’instrumentalisation auquel l’humain la convie?

Photos prises au nord de La Tuque, ancien site de drave.

Crédit Érika LeBrun

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