Les effets de la déconfiture du Bistro

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Aussi utile et important qu’il soit, le système de soins ne crée pas de richesse! C’est un fait. La santé publique, par la promotion de saines habitudes de vie, a forcément un impact positif sur la productivité. Mais le système de soins, lui, accapare un peu plus de 40 % des dépenses de l’état. S’il est une question de l’heure, c’est bien le financement des services publics alors que notre société peine à générer un projet d’économie. Mais lorsqu’on apprend que ce même système plane l’économie d’une petite entreprise et se fiche complètement de l’impact de ses décisions, il y a de quoi s’attrister pour ne pas dire s’indigner!

C’est un peu le sort qui arrive au sympathique Terrasse Café Bistro situé sur la rue Bonaventure à Trois-Rivières qui vient de fermer ses portes. Devenu presque une institution en 39 ans, le Bistro jouait pratiquement le rôle de cafétéria pour l’Agence de la santé et des services sociaux de la Mauricie et Centre-du-Québec, une entreprise gouvernementale qui était flanquée juste en face. Les employés de l’agence y allaient de leur gré, et ce, presque chaque jour. Ils avaient, entre autres, l’habitude d’y aller pour célébrer les grands événements de leur vie au travail. Les gestionnaires des hôpitaux, eux, s’y rendaient en groupe après leurs réunions. La fermeture de l’agence au 1^er avril 2015 a donc créé un grand vide dans le secteur. La loi 10 a débarqué, déportant les employés de l’agence vers le réseau en fusion. Les gestionnaires du réseau et le personnel de l’agence sont devenus «collègues» en répondant au même patron, à la même autorité. De leurs points de services où ils ont été transférés, tout ce beau monde exécute maintenant les décisions qu’il soit en Mauricie ou au Centre-du-Québec, localisé partout, sauf en face du Bistro!

Sans vouloir faire un raccourci de la pensée, le bistro paie cher ces frais de la coupure, tout comme la communauté qui en souffrira à long terme. Nos institutions se perdent et personne ne semble s’en préoccuper. Mais à quoi bon? Me direz-vous. C’est bien vrai, à quoi servent l’économie et l’histoire après tout? Dans notre cas de figure, le Bistro n’engendre qu’une dizaine de pertes d’emplois, plus une légère perte économique pour la ville. Un bistro, c’est bien beau, mais «Le concept n’est-il pas un peu dépassé? », se questionne, encore sous le choc, son ex-propriétaire Yves Marchand dans le Nouvelliste du 20 mars 2016 pour s’expliquer cette déconfiture? L’historique d’un lieu, n’est-ce pourtant pas là l’un des facteurs qui fait réellement courir les touristes du monde entier? Pensons seulement Au café de Flore ou Aux deux Magots à Paris. Ces deux bistros français font encore fortune sur la notoriété des Simone de Beauvoir et des Jean-Paul Sartre,  icônes intellectuelles des années ’40-’60.

Tisser des liens, c’est le fondement même de toutes les nations, de tous les traités, de toutes les conventions. Quelle soit politique, culturelle, économique ou personnelle, l’histoire sert à comprendre les liens tissés, les identités formées, les institutions ancrées. Au Bistro, le festival international de la Poésie s’y est déjà émancipé. Le Salon du livre de Trois-Rivières a germé là dans l’esprit de ses premiers artisans. Des artistes y exposaient leurs œuvres, d’autres y enivraient l’ambiance de leur musique et un goût assuré pour la sommellerie s’éveillait récemment chez Yves, notre aubergiste. Des politiciens, oui de véritables députés des années 80, d’allégeance tout à fait différente, y refaisaient le monde hebdomadairement comme les derniers témoins d’une saine démocratie. À l’époque, ils y recevaient parfois même leur délégation. Les députés y retournaient semaine après semaine parce qu’ils s’y entendaient parler, comme le reste de la clientèle d’ailleurs, qualité maintenant rare dans les bars et les restaurants. À croire que le monde n’a plus rien à se dire et n’a donc plus besoin de s’entendre ! Des entrepreneurs et des professionnels y discutaient affaires. SAM, le groupe de musiciens cassait la croûte avant chaque pratique.  Et combien de travailleurs du public y ont passé les meilleures années de leur vie?

Si l’on pouvait condenser toutes les idées qui ont fourmillé dans l’antre de ce petit restaurant au fil des années, on ne manquerait pas de projet, ce qui fait cruellement défaut à notre société actuellement.  Ce n’est peut-être pas le rôle du système de santé de créer de la richesse, mais ça ne devrait pas être permis de lui laisser encourager la récession non plus. Pas plus à lui qu’à d’autres systèmes d’ailleurs. Qui s’en occupe de ces effets? Qui peut bien vouloir gérer une telle complexité? Les citoyens? Quels citoyens? La communauté du monde des Affaires ? La Chambre de commerce? La ville de Trois-Rivières? Le gouvernement? Qu’on veuille le conscientiser ou non, la disparition d’une entreprise comme le Bistro, une affaire qui ramasse 40 années de commerce, commence à ressembler à un lieu historique, à tout le moins, à une perle touristique.

Quelle leçon faudrait-il alors tirer de cette aventure? Alors que nombreux baby-boomers trifluviens à la retraite cherchent toujours à remplacer la feu librairie Morin et le Café Morgane situés anciennement sur le Boulevard des Forges, rien de comparable n’a émergé depuis pour satisfaire leurs attentes. Il y a un vide à combler pour cette clientèle. Peut-être que le Bistro aurait pu profiter d’une étude de marché en guise de soutien du milieu économique pour réaligner sa vocation et attirer cette jeune clientèle des boomers errants culturellement ?  Je ne sais pas, je ne connais pas vraiment les démarches de survie réalisée ou non…

Imaginons un meilleur scénario. Le Bistro devient barista, sommelier, libraire, mieux : galeriste de magazines ou d’œuvres d’art… Tout ça à la fois, pourquoi pas?  Je serais cliente. Je le serais comme je l’ai toujours été dès les premières heures. Je le serais à ma manière, une fois semaine. Je le serais avec les amis. Nous aimions l’ambiance, l’accès au centre-ville et au stationnement, la terrasse en été, la voix d’Yves, l’aubergiste interpellant affectueusement chaque client dès son entrée. Le Bistro fait partie de notre histoire à jamais.

Je me souviens encore de mes premières fréquentations, c’était à l’été 1979, je demeurais rue Niverville et au retour du centre-ville, je m’arrêtais déguster un jus de fruits glacé qui portait un nom bien étrange, en vogue à l’époque…quel était-ce déjà?  Je ne le retrouverai peut-être pas… Il n’y a plus personne au Bistro pour me le rappeler. C’était l’ancêtre du smoothie, voyons comment ça s’appelait déjà? La mémoire c’est bien ce qui construit l’histoire d’une personne, d’un commerce ou d’une ville. L’effet d’une coupure peut parfois ressembler à la théorie du chaos. Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut déclencher une tempête au Texas.